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Prochain essai

La volonté de Primus

Lundi le 22 avril 2019

Votre Majesté,

Dans cette vie il ne nous est pas permis de revivre les moments passés, et si le prochain récit ne saurait échapper à cette règle, j’espère qu’il donnera à Votre Majesté une bonne idée de ce qui se passa en cette soirée magique.

Ce fût par ces mots que Saphanta débuta son histoire :

“On raconte qu’il y a bien longtemps, à une époque qui échappe à toute mémoire écrite, en un lieu qui échappe à toute géographie, se trouvait un village encerclé de toute part.

“Ce village avait la particularité de se trouver à la frontière de plusieurs royaumes. Et alors que ce point de jonction, cette croisée des chemins, aurait dû appeler à la neutralité et à la prospérité, celui-ci fût plutôt la proie des conquérants qui ne cessaient de s’alterner au fil des années. 

“À chaque conquête, les villageois souffraient terriblement. Lorsque le village passait dans les mains d’un nouveau maître, non seulement ils devaient fournir les moyens nécessaires pour réparer ce qu’on leur avait détruit, mais ils devaient également soutenir l’effort de la prochaine guerre qui ne pouvait être évitée vue la vulnérabilité du site. Les gens mangeaient donc peu, et ce qu’ils arrivaient à se mettre sous la dent les rendaient malades, ils avaient à peine de quoi s’habiller, et souvent ils étaient plusieurs à loger sous un même toit.

“Une même génération n’arrivait plus à compter le nombre de mises à sac du village puisque personne ne restait assez longtemps pour témoigner ces malheurs ; la plupart des hommes en état de le faire prenaient les armes et ne revenaient pas, laissant derrière eux des veuves qui étaient obligés à se chercher de nouveaux époux, des époux se trouvant la plupart du temps dans le camp adverse.

“Primus était un de ces jeunes hommes du village qui allait prochainement devoir prendre les armes pour une guerre qui n’était pas la sienne. Aller au front et au-devant du danger n’était pas quelque chose qui l’effrayait : en cette époque terrible, craindre pour sa vie était futile. Mais se soucier de la vie des autres, voilà ce qui tourmentait notre jeune homme. Il savait qu’en quittant le village il laisserait derrière lui un père vieillissant qui ne pouvait se défendre contre ses assaillants, une mère en proie à l’assouvissement des ardeurs masculines et une sœur à la merci d’une union, et surtout d’un enfantement qu’elle ne voudrait pas voulu. Partir, et les perdre à jamais, ou bien rester et perdre sa tête pour insubordination : tel était son dilemme. Et il ne restait plus beaucoup de temps à Primus pour agir, lorsque vint la rumeur.

“On disait que, pas trop loin du village, se trouvait un homme dénoncé par les autorités locales comme étant un agitateur, mais perçu par le peuple comme étant un apaiseur de maux. Il possédait les réponses à tout : à la férocité, il répondait par la bonté ; à la cruauté, la compassion ; à la haine, l’amour. Il prônait la patience et l’espoir d’une vie meilleure, future, d’une vie future qui ne faisait pas partie de ce monde. 

“Les gens venaient des quatre coins de la contrée pour le voir, le consulter, lui demander son avis sur telles ou telles questions. À entendre l’engouement des gens, à voir leurs yeux briller d’espérance, il y avait de bonnes chances que cet homme puisse aider Primus sur ce qui le préoccupait. Il décida donc d’aller le voir.

“La route ne fut pas longue à parcourir malgré la pluie qui tomba pendant sa journée de marche. Arrivé aux abords de la ville voisine où se trouvait l’homme qu’il cherchait, Primus remarqua un petit rassemblement de personnes qui pleurait.

“- Dites-moi, que se passe-t-il ? Pourquoi tout le monde est en larmes ?

“- N’as-tu pas entendu ? Ils l’ont tué.

“- Mais qui donc ?

“- Celui qui a ravivé nos espoirs.

“- Impossible ! “

“- Difficile d’y croire, hein ? 

“- Mais je n’ai pas encore eu la chance de le voir !

“- Tu es bien le premier de cette ville qui n’a pas pu le voir. Alors que les royaumes ne cessent de s’entre-tuer depuis des générations sur tout et sur rien, étrangement ils se sont tous mis d’accord pour le faire disparaître…

“Primus n’écoutait plus ce qu’on lui disait, tant ce qu’il venait d’entendre le bouleversa. Il ne s’en était pas rendu compte, mais il avait mis tous ses espoirs en cet homme, inconnu de lui. Cet homme qu’il n’avait jamais vu, ni entendu, cet homme dont son existence ne lui était parvenu que par le bruit d’une rumeur. Et maintenant, il n’était plus. Qu’allait-il donc faire maintenant ? Cet espoir qu’il a eu, il l’avait partagé avec sa famille avant son départ, il leur a promis que tout allait être pour le mieux, qu’il n’aurait pas besoin de prendre les armes et qu’il allait rester à leur côté pouvoir les protéger et s’occuper d’eux.

“Cet espoir, petit qu’il était au début, avait rapidement grandi, au point qu’il avait réussi à faire disparaître la réalité dans laquelle il vivait. Et qu’en restait-il maintenant ? Rien. Qu’allait-il annoncer à sa famille ? Au mieux, ils allaient vivre dans le déshonneur, au pire c’était une mort probable qui les attendait.

“La foule se dispersa graduellement, et bientôt sans qu’il s’en rendit compte Primus resta seul, toute la soirée, puis toute la nuit, devant le tombeau de cet homme qu’il ne connaissait pas, esclave de toutes sortes de réflexions aussi terribles les unes que les autres. Ce ne fut que les premières lueurs de l’aube qui le sortirent de sa torpeur.

“- Non ! Il ne peut en être ainsi ! Tu dois revenir d’entre les morts ! J’ai besoin de tes conseils !

“Aussitôt ces paroles prononcées, la dalle qui recouvrait le tombeau se déplaça et l’homme, qui était mort, se redressa comme s’il était vivant. 

“Primus, effrayé et terrorisé par cette apparition, était à deux doigts de prendre les jambes à son cou lorsque l’homme ressuscité lui adressa la parole :

“- Pourquoi m’avoir fait revenir de l’au-delà si c’est pour me fuir tout de suite après ?

Voilà, il n'y a rien de plus!

J'espère que vous avez apprécié la lecture de mes conneries. Je suis une merde!