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Prochain essai

La vendeuse de macarons

Jeudi le 19 juillet 2018

Il y a des histoires où l’on sait d’avance qu’elles vont nous marquer et, sachant cela, aucun détail arrive à nous échapper. Ni même comment elles ont débuté.

Je m’en souviens comme si c’était hier. Tout cela a commencé un samedi matin de printemps.

Je m’étais réveillée tôt pour aller travailler. Cela fait quelques mois maintenant que j’ai décroché ce petit boulot et, bien entendu, je ne pouvais recevoir que le dernier choix en ce qui concerne les quarts de travail. Samedi matin, dimanche matin, et un autre moment de la semaine, plus normal, histoire d’équilibrer le tout selon ma patronne.

Mais il vaut mieux travailler que de rester assis sans rien faire. Lorsque la compagnie m’appela pour confirmer mon embauche, je n’ai pas hésité un seul instant à accepter. Vendeuse de macarons dans un aéroport. Le boulot proposé n’était aucunement lié à mon domaine d’étude, mais j’avais besoin d’un peu d’argent pour mon prochain voyage. Et au moins j’avais un nom connu que je pouvais maintenant mettre sur mon CV. Chose non négligeable vu la maigreur de celui-ci.

J’ai remarqué que dans leur vie de tous les jours, incluant la mienne, les gens ne mangent que rarement des macarons, voire jamais. Par contre, dès qu’ils voyagent, c’est là qu’ils se rappellent l’existence de ces petits bijoux. Ils en deviennent friands. À 6 heures du matin, heure d’ouverture, il y a déjà une petite queue qui se forme. Timidement au début, puis celle-ci grossit tranquillement pour éventuellement se stabiliser sans toutefois disparaître, ce jusqu’en début de soirée.

Pourtant, en ce samedi, celui par lequel je commence cette histoire, il n’y avait personne. Chose étrange pour un samedi, qui est statistiquement la journée la plus occupée de la semaine. Cela tombait bien ; arrivée un peu en retard, je n’avais pas encore eu le temps de préparer la vitrine du petit présentoir.

Cinq minutes plus tard, un jeune homme, début trentaine, se présenta devant le petit stand, vide de tous macarons.

- Bonjour.

- Bonjour Monsieur ! Alors, comment puis-je vous aider ?

- Êtes-vous ouvert ? me demanda-t-il en souriant, probablement amusé par le peu d’options qu’il avait sous ses yeux.

- C’est ouvert, mais je ne suis pas tout à fait prête. Savez-vous un peu ce que vous voulez ?

- À vrai dire, pas vraiment. Des macarons bien sûr, mais je ne sais pas combien, ni lesquels.

Le jeune homme paraissait fatigué, comme tout voyageur en fait. Je n’avais rien de mieux à lui offrir que la carte des choix et, pendant qu’il la consultait, j’allai chercher les plateaux de macarons dans le frigo situé juste derrière moi. Cependant il faut croire qu’il reprit rapidement ses esprits car c’était à peine que j’avais ouvert le frigo que je le trouvai derrière moi :

- Alors Monsieur, avez-vous fait vos choix ?

- Je crois que oui.

- D’accord. Si vous voulez bien me les nommer, et ce seront les premiers plateaux que je sortirai du frigo.

- Prenez-votre temps, mon prochain vol n’est que dans une heure, je ne suis pas particulièrement pressé.

Au fur et à mesure qu’il énumérait les saveurs voulues, café, citron, caramel, je sortais les plateaux du frigo.

- Ah non, celui-ci est à la rose, je me suis trompée.

- Puisqu’il est sorti, est-ce qu’il ne vaut mieux pas le mettre tout de suite dans le stand ? Laissez-moi le tenir pour vous, en attendant que vous trouviez le bon.

C’est ce que j’ai apprécié d’emblée chez cet homme. Les gens qui voyagent, bien qu’ils soient généralement de bonne humeur, sont rarement serviables. Encore moins en cette heure aussi matinale. Pour la plupart ce sont des vacanciers et, ayant travaillé dur tout au long de l’année pour se payer des congés, ils pensent que tout leur est dû. Des pachas.

- C’est très gentil de votre part, merci. Ah ! Le voici. Vous en vouliez deux aux framboises, n’est-ce pas ? Tenez, celui que je tiens dans les mains est légèrement abimé, je vous en fait cadeau. Ça vous en fera trois.

Les quinze macarons étant choisis, nous nous dirigeâmes vers la caisse. Et c’est en demandant sa carte d’embarquement pour compléter la transaction que je remarquai sa destination finale. C’était celle de mon pays d’origine. Je notai également son prénom ; c’était la première fois que je voyais un Saphanta.

- Retournez-vous à la maison ? lui demandai-je.

- Pour ma part, je viens de Montréal. Mais en quelque sorte, vous avez raison. Oui, je retourne chez moi ; c’est la patrie d’origine de mes parents. J’y retourne souvent, pour diverses raisons. Cette fois-ci c’est pour le mariage de mon cousin.

- D’accord, je vois ! Voici votre carte. Parce que Saphanta n’est pas un prénom très populaire. C’est la première fois que je le vois.

- Venez-vous de là également ?

- Exactement !

- Quel coïncidence ! Je me présente ; moi c’est Saphanta.

- Oui, je l’ai vu sur votre carte d’embarquement.

- Bien sûr, Mlle ...

- Inès !

- Enchanté Inès.

- Enchanté Saphanta.

- Alors, que faites-vous dans cette belle ville remplie de macarons, loin de chez vous ?

- Bonne question ! Ce boulot, ce n’est que pour l’argent. Et pour accumuler un peu d’expérience. Je ne le fais qu’à temps partiel Sinon, je suis étudiante à la maîtrise en psychologie.

Jamais je ne m’étais autant dévoilée avec un client. En général je n’avais pas trop de temps pour avoir ce genre de conversation, mais étrangement il n’y avait encore personne d’autre devant le stand.

- Ça doit être intéressant.

- Oui. J’aime beaucoup ! Je suis venue ici pour compléter ma maîtrise. Cela fait maintenant une année.

- Donc il vous en reste encore pour une année ?

- C’est bien ça !

Il semblait vouloir poursuivre, sans cependant trouver le moyen de faire basculer l’échange. Était-il fatigué ? Ou il ne voulait pas me déranger plus longtemps ? Ou encore ne pas trop s’étendre de peur de se faire interrompre par un client ? En fait, ce n’était probablement rien de ça ; il semblait tout simplement bien pensif, se trouvant à des années-lumière du stand de macarons.

Le petit silence qui s’était installé, de quelques secondes à peine, allait commencer à paraître inconfortable. Je repris donc les choses en mains :

- Vous m’avez beaucoup aidé, c’était très gentil de votre part. Les quinze macarons, je vous les fait pour le prix de dix.

- Vraiment ? Vous ne devriez pas, cela m’a fait bien plaisir de vous aider.

- C’est la moindre des choses. Vous avez en plus été mon premier client de la journée, vous avez bien mérité ça !

Il me remercia une seconde fois, régla l’addition, puis on se serra la main. J’avais bien serré sa main ; toutefois on aurait dit que dans cette poignée il y avait plus, que cependant sur le moment je ne savais expliquer.

Dès qu’il s’éloigna le second client se présenta, et alors je n’eus aucun moment de répit jusqu’à la fin de mon quart.

À mi-chemin entre le stand et sa porte d’embarquement, je remarquai du coin de l’œil qu’il s’était retourné et avait fait un pas dans ma direction. Seulement un pas car, par la suite, il s’arrêta. Il resta ainsi quelques instants, de longues secondes, puis reprit sa route vers sa porte.

Je ne pouvais le croiser du regard, occupée que j’étais avec les clients. Mais j’aurai bien voulu prendre un moment pour lui parler, plus longuement, en toute aisance. Ne serait-ce que pour qu’il me parle un peu de Montréal. La ville que j’allais visiter dans deux semaines.

Voilà, il n'y a rien de plus!

J'espère que vous avez apprécié la lecture de mes conneries. Je suis une merde!