Prochain essai
Une fête à l'eau
Mercredi le 20 juin 2018
Article paru dans De l’autre côté, semaine du 17 juin 2018.
Comme vous le savez tous, vendredi dernier était jour de fête pour nous.
Cette fête, qui tire son origine d’un passé lointain et méconnu, n’est plus célébré que par nous, que par notre petite communauté qui habite sur cette île. Il est donc tout à fait normal, lorsque nos traditions se voient menacées, de les défendre à tout prix, et c’est ce que nous avons admirablement fait au cours des dernières générations. Et c’est ce que nous avons encore fait cette année, alors que l’intimidation était au rendez-vous, mais peut-être cette fois-ci de manière un peu moins admirable. Voici pourquoi.
Après avoir échangé les voeux avec la famille et les amis proches, après s’être échangé quelques gâteaux et autre sucreries, comme le veut l’usage, la famille de Saphanta était cordialement invitée, par ses voisins étrangers, à une grillade en fin de journée. Invitation plutôt rarissime, et donc bien accueillie puisque la famille accepta l’invitation avec un plaisir marqué. De plus Saphanta put se joindre aux festivités de justesse ; il avait réussi à rentrer à la maison juste à temps pour cette fête qu’il ne voulait rater à aucun prix, lui qui était parti depuis plusieurs mois pour son long voyage.
Alors que la fête battait son plein, et que les grillades grillaient tranquillement, au milieu des rires et de la bonne humeur des convives et des hôtes, la voisine, habitant juste au-dessus, décida de déverser un énorme seau d’eau sur toutes la nourriture prévue pour la soirée.
L’assemblée, étourdie, puis ébahie, lorsqu’elle commença à réaliser pleinement ce qui venait de se passer, céda à la colère. Les hôtes furent à deux doigts de monter chez l’insensée, pour lui faire on ne sait quoi, alors que la famille de Saphanta ne savait pas trop quoi penser, ni trop quoi faire, face à une telle effronterie. Mais finalement, avant que quiconque pût agir de manière regrettable, quelqu’un de la fête avait prévenu la police, qui ne tarda pas à venir sur les lieux.
Celle-ci informa les victimes que l’assaillante était une fidèle abonnée au département des plaintes. Depuis qu’elle occupait son appartement, cela faisait plus d’une quarantaine d’années (chose étrange car personne n’avait trop remarqué ce fait), elle avait été impliquée dans plus d’une centaine de plaintes, autant reçues que données à son voisinage. Plusieurs de ses voisins durent déménager, ne voulant pas habiter à proximité d’une personne aussi méchante. Pour le coup qu’elle venait d’assener à la fête, elle reçut l’interdiction formelle de ne plus interagir avec sa victime du jour.
Cette interruption et, l'intervention des forces de l’ordre, ne dura en tout qu’une heure. La fête repris son cours par la suite, mais le mal était fait. Il n’y avait plus de nourriture digne de l’évènement, et pour ne pas couper court à celui-ci en cette journée particulière, on dût en commander (il est à noter que la nourriture gâchée ainsi que celle commandée à été payée par la provocatrice).
Durant tout cette agitation, un témoin oculaire, source fiable, a rapporté la chose suivante. Alors que tout le monde était assez choqué face à cette agression, ne sachant pas trop quoi faire, encore moins comment faire pour régler cette situation (le témoin s’inclut dans ce groupe), il avait remarqué par hasard le comportement de Saphanta, comportement qui se démarquait nettement du reste. Il ne semblait aucunement outré, ni fâché par le geste posé par la voisine. Seulement surpris, puis soucieux, peut-être même effrayé. Tout juste avant de contacter la police, notre témoin perçut un léger mouvement de Saphanta, qui semblait vouloir empêcher qu’on appela. Mais il se ravisa tout juste après. Il se contenta d’observer longuement la voisine, puis son balcon après qu’elle fut rentrée chez elle. Ce réflexe perturba notre source ; il l’interpréta sur le coup comme une tentative afin d’empêcher de faire respecter nos droits.
Cependant, tout juste avant l’arrivé des forces locales, alors que Saphanta remarqua que notre témoin n’arrêtait pas de le fixer, il le regarda puis lui dit :
- Je ne sais pas si la police va régler quoi que ce soit, car ils sont là. Ils sont arrivés.
Le témoin ne sait pas, même aujourd’hui, ce que Saphanta avait derrière la tête, mais il pourrait jurer que lorsque ce dernier fit allusion à ils, il ne faisait aucunement allusion à la police.
Il faut dire que Saphanta s’est trompé, puisque depuis cet incident rien ne vint perturber notre petite communauté. Mais que voulait-il dire par Ils ? Plusieurs d’entre nous ici pensent que ce long voyage l’a changé en quelque sorte. Ceux qui étaient opposés à cette expédition peuvent s’en frotter les mains aujourd’hui.