Prochain essai
Buda et Pest
Mercredi le 18 avril 2018
Article paru dans De l’autre côté, semaine du 15 avril 2018.
Chères lectrices et chers lecteurs, je mets en veille cette semaine ma chronique habituelle car nous avons enfin eu des nouvelles de Saphanta. Il a eu la gentillesse de prendre quelques instants et de nous envoyer ses dernières sensations de son périple, qui l’a amené, comme vous allez pouvoir le constater, à Budapest.
“De nous quatre, qui a eu l’idée d’idée d’inclure Budapest dans la liste ? Personne ne s’en rappelle exactement, mais il s’est avéré que ce fut une merveilleuse idée. J’espère pouvoir, avec ces quelques mots, vous faire revivre ce que mes yeux ont vus.
“Budapest fait partie de ces villes où, en préparant notre voyage, nous nous étions rendus compte qu’il n’y avait pas beaucoup de choses à voir et, en comparaison des autres capitales que nous venions de visiter, il n’y avait effectivement pas beaucoup à voir.
“Nous nous rendîmes vers la capitale hongroise après avoir passé quelques jours au sein de sa soeur autrichienne. Ce trajet, qui peut être fait soit en train ou en bateau, puisque le Danube réunit les deux villes, est des plus enveloppant. L’Europe impériale, représentée en grande pompe par cette grande Vienne, s’effaça graduellement et laissa sa place à cette Europe ottomane moins connue de nous. En se déplaçant vers l’Est, l’Occident céda tranquillement sa place à l’Orient, la langue parlée par les gens dans le train (c’est ce que nous avions pris finalement) changea également. Aucunement qualifié en la chose, mais m’imaginant en pleine croisade, je commençai à donner des cours d’arabe à une personne à qui je ne pouvais rien refuser.
“Tel que prévu il y avait moins de monuments à visiter que dans les autres villes que nous avions faits. Cependant, et cela n’était pas prévu, ils étaient tous beaux et surtout uniques dans leur genre. Le Bastion des pêcheurs et l’église du couronnement de Budavár, situés en haut d’une colline, surplombants la ville et offrants une vue remarquable sur une autre merveille architecturale, le parlement, en sont de parfaits exemples. Malgré le catholicisme très présent dans les moeurs et l’architecture, ces monuments possèdent une certaine empreinte ottomane. En fait, à y repenser, cette influence turque est encore très répandue, et sa présence est manifeste dans ce qui fait la particularité de cette ville : l’existence d’une multitude de bains thermaux.
“Les bains thermaux ! Une des particularités de Budapest. Je pourrai nommer plusieurs endroits, que j’ai visité, où l’on peut se reposer en toute quiétude, plusieurs lieux où l’on peut s’instruire à chaque coin de rue, plusieurs région où l’on peut se dépayser pour se changer les idées. Mais faire tout ceci en un seul endroit ? C’est ce que Budapest offre.
“Les bains, il y en a pour tous les goûts. Des bains intérieurs, des bains extérieurs, des bains chics, des bains populaires, des bains ayant pour cadre l’art nouveau, et même des bains turcs ! Il y a des bains qui sont plus familiaux, avec de grands espaces, ou des bains plus discrets, idéal pour les amoureux. Ils sont ouverts toute l’année, indépendamment de tout, même pour ceux qui sont à l’extérieur, qu’il fasse un froid sibérien ou une chaleur infernale. D’ailleurs il faut croire que les caprices du ciel ne gênent aucunement les habitants ; malgré toutes les intempéries possibles, il y a toujours des parties d’échecs qui se jouent au centre des piscines.
“Quel est donc le secret de cette ville ? Comment une ville de cette envergure peut à la fois abriter deux passés radicalement opposés et être aussi paisible ? La réponse me surprit, autant par le contenu que par la manière.
“Dès nos premières heures dans la ville, nous remarquâmes que les budapestois étaients de belles personnes. Autant les femmes que les hommes, sans parler des enfants, et même les quelques sans-abris que l’on a rencontré. On la surnomme la capitale érotique ; ce n’était pas moi qui allais remettre en cause son titre.
“Nous nous promenâmes un soir sur le Széchenyi lánchíd, littéralement le Pont des chaînes. Splendide pont suspendu qui relie les deux rives de Budapest par-dessus le Danube. Arrivés en son centre, afin d’admirer le parlement magnifiquement illuminé, nous trouvâmes un jeune couple assis sur le rebord, échangeant câlins, baisers et regards complices. La scène était belle, et je ne pus m’empêcher de les fixer impunément pendant quelques instants.
“ - Vous êtes touristes ? me demanda le jeune homme dans un français des plus convenable, voyant que je les observais.
“ - Oui ! Et désolé d’avoir insisté mon regard sur vous, vous étiez très beaux à voir.
“ - C’est gentil, merci.
“ - D’ailleurs, tous les habitants de cette ville sont, en quelque sorte, beaux.
“ - Très bonne observation, me répondit à son tour la jeune femme. Et savez-vous pourquoi ?
“ - Une coïncidence génétique ?
“ - Les probabilités pour qu’une telle chose se produise sont trop minces. Non, si nous paraissons tous beaux, c’est parce que nous sommes tous heureux.
“ - Heureux, tous ?
“ - Absolument.
“ - Voici une généralité bien confiante.
“ - Vous nous trouviez tous beaux il y a quelques instants, votre généralité n’était-elle pas aussi confiante ?
“ - Oui, mais ma généralité reposait sur une observation très subjective. Quelqu’un d’autre aurait pu très vous trouver tous laids (ce que je doute fortement), et vous n’auriez rien trouver à redire.
“ - Mais le fait est que nous sommes tous beaux, et à défaut que quelqu’un nous trouve laids, nous resterons beaux. Est-ce que je me trompe ?
“ - Il est vrai que si tous vous trouvent beaux, il n’y a aucune raison de penser que vous ne l’êtes pas. Mais je ne cherche aucunement à débattre de ce point avec vous alors que nous partageons le même avis. Par contre je suis bien curieux de connaître la raison pour laquelle vous êtes tous heureux.
“ - La raison est toute simple. Pour être aussi heureux que nous, budapestois, c’est parce que nous avons lourdement gouté aux malheurs dans ce monde. C’est une histoire courte et très simple, et est d’une logique écrasante.
“Avant d’être Budapest il existait deux villes du nom de Buda et Pest. Deux villes à la fois concurrentes et soeurs, deux villes coupées par un fleuve alors qu’il devait justement les réunir. Comment cela arriva-t-il ? Pourquoi les fondateurs avaient-ils décidés de s’isoler de la sorte ? Personne ne le sait vraiment.
“Cette séparation, au début géographique, puis démographique, et enfin psychologique, dura des siècles, sans que personne ne compris pourquoi et, surtout, sans que personne ne fit quoi que ce soit pour y remédier, alors que tous en souffrait. C’était comme si on avait arbitrairement décidé de couper une famille en deux, où ses membres, séparés, ne pouvaient se voir que de loin. Les habitants de Buda et Pest en étaient très malheureux.
“Ceci dura et perdura jusqu’à ce qu’un génie, habitant à Pest, mécontent et attristé de ne pouvoir voir la femme qu’il aimait aisément, eu la brillante idée de construire un pont pour relier les deux rives. Comment y parvint-il ? Encore une fois la légende ne précise pas ce détail, mais par un matin de printemps, alors que la veille il n’y avait rien, les habitants des deux villes étaient magiquement reliés par un pont. L’étonnement fit rapidement place à la joie, et cette grande famille était enfin réunie après plusieurs siècles de séparation.
“Les budapestois, car c’est ainsi qu’il fallait désigner les habitants de cette nouvelle ville, cherchèrent l’ingénieur de ce miracle, pour le remercier et surtout pour connaître son nom afin de le donner au pont. En vain. L’oeuvre achevée, l’homme s’était volatilisé.
“En fait, on dit qu’avant de disparaître complètement il rendit une dernière visite à sa bien-aimée. Accablée de tristesse, elle lui aurait répondu :
“ - Tu me quittes alors que nous n’avons jamais été aussi proches. Tu dois avoir tes raisons, et je ne serai pas assez folle pour faire changer ta décision, qui visiblement te déchire horriblement. Je t’aime tellement que je ne puis être en colère contre toi ! Cependant, aussi ingénieux que tu puisses l'être, je peux être d’une certaine habileté, et avec ce qui restait comme matériau de ta folle entreprise qui nous éloigne aujourd’hui, je t’ai fabriqué cette chaîne en argent, qui te rappellera à quel point nous étions, nous sommes liés l’un à l’autre. Accepte-la, et cette unique pensée suffira à mon bonheur pour toujours.
“C’est ainsi que le pont fut nommé le Pont des chaînes.
“Pourquoi sommes-nous tous heureux ? C’est justement en hommage pour ces deux personnes qui, tristes à n’en plus finir, et à défaut d’en avoir profité, parvinrent à donner la joie à deux villes qui n’en devinrent qu’une. Nous sommes heureux parce qu’ils ne l’ont jamais été et que nous leur devons ça.
“Je remerciai beaucoup la jeune femme pour avoir prit le temps de me raconter cette histoire. Cette dernière me toucha beaucoup, et consolida mon idée qu’il fallait cesser de vivre en retrait dans ce monde que nous partageons avec eux. Il est temps de réunir les deux familles.