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Prochain essai

La boîte des avoirs

Mardi le 1 janvier 2019

Voici une histoire que l’on m’a racontée il n’y a pas longtemps, et qui possède sans aucun doute la double qualité d’amuser et de laisser songeur quiconque qui la lit.

Il était une fois un vieil homme, qui avait dépassé de loin l’âge auquel on peut s’attendre à passer ici-bas.

Au cours de sa vie, rien n’avait manqué au vieil homme : une femme, des enfants, des petits-enfants, et même des arrière-petits-enfants ; une maison, une piscine, une voiture, une carrière, des voyages, de l’argent… et surtout du temps ! Il en avait eu plus qu’il ne le pensait. Difficile d’imaginer une vie plus remplie et plus diversifiée que celle qu’il a eu.

Cependant, ce qui animait le vieil homme dans cette quête du bonheur, car c’est ainsi qu’il justifiait tout ce qu’il avait accumulé, possédé et accompli, ce n’était pas forcément le partage de cette prospérité ceci avec les gens qu’il aimait, mais plutôt pour flatter sa fierté. Il ne faisait rien sans se réconforter à l’idée qu’il pouvait montrer, et en quelque sorte se vanter, ce qui se passait dans sa vie : photos, vidéos, tout était bon pour s’afficher. On raconte que c’est sa vanité qui est la source de sa longévité.

Un jour, alors qu’il était seul à la maison, il entendit frapper à sa porte. En ouvrant, il trouva une personne, ne sachant si c’était un homme ou une femme, qui tenait une boîte dans ses mains.

- Qui êtes-vous ? demanda le vieil homme.

- Je suis Dieu.

- Dieu ! Ah, quelle surprise ! Mais je vous en prie, entrez et installez-vous.

- Une surprise ? Je t’ai déjà octroyé plus de temps que n’importe qui sur cette Terre.

- Oui, oui, et pour ça je vous en suis bien reconnaissant. 

- Nous verrons cela plus tard, lorsqu’il sera temps de faire les comptes. Mais pour le moment, nous devons partir.

- Partir ? Mais partir où ?

- Il est temps pour toi de quitter cette vie pour une autre.

- Et où est donc l’ange de la mort ? Cette tâche ne lui revient-elle pas normalement ?

- Disons qu’il a eu du mal avec toi récemment, et que je suis venu lui donner un coup de main.

- Je veux bien, mais il est trop tôt pour que je parte maintenant.

- Trop tôt ?

- Oui. Il me reste encore des choses à faire.

- Comme quoi ?

- Changer l’ampoule. Nous organisons une grosse soirée ce soir pour la nouvelle année et la maison doit être parfaite pour les invités. Il y aura sûrement beaucoup de photos et vidéos qui seront prises par eux, et puisque de nos jours elles se retrouvent partout, il vaut mieux qu’elles soient à notre avantage.

- Et c’est tout ?

- Je ne suis pas encore allé voyager en Antarctique. C’est toujours dans ma liste. Après, j’en serai satisfait pour les voyages.

- Penses-y, il doit bien rester quelque chose que tu voudrais accomplir avant de partir.

- Maintenant que vous le proposez, j’ai toujours voulu avoir un doctorat.

- En quoi ?

- Qu’importe. Simplement pour avoir le diplôme.

- À ton âge ? Et pourquoi faire ?

- Pour le plaisir.

- Et flatter ton orgueil ?

- Ça ne revient pas au même ?

- Je crois qu’il est grand temps que tu viennes avec moi.

- D’accord, d’accord, c’est bon. Mais à une seule condition.

- Laquelle ?

- C’est que vous me disiez ce qui se trouve dans la boîte que vous tenez entre vos mains.

- Si tu souhaites vraiment le savoir, elle contient tout ce que tu possèdes dans cette vie et que tu pourras ramener avec toi.

- Vraiment ? Quelle bonne nouvelle ! Car, indépendamment où ce que nous allions, j’avais peur de ne pas être à l’aise. Ma maison, ma voiture, et mes livres vont pouvoir m’accompagner. Et ma piscine ? Croyez-vous que ça rentrera ? D’ailleurs, comment avez-vous fait pour tout mettre là-dedans ? Et l’argent ? Allons-nous en avoir besoin ?

- Tu te trompes. Tout ce que tu m’as nommé ne t’appartient pas. Ils t’ont été prêtés pour que tu mènes une vie confortable, sans plus. À ton départ, tout ceci va rester ici.

- Ah… bon, je comprends. Même si j’aurais préféré le contraire. Nous ferons le voyage sans.

- Nous ?

- Ma femme, mes enfants, mes petits-enfants… j’imagine qu’ils se trouvent dans la boîte, non ?

- Personne ne t’appartient. Ils auront chacun leur propre voyage à assumer.

- Personne ne viendra donc avec moi ?

- Personne.

- Pas même mon chien ?

- Pas même ton chien.

- De toute façon, ça fait du bien de voir de nouvelles personnes. C’est bon, je suis prêt. 

- Allons-y.

- En fait mon corps n’est plus aussi en forme qu’auparavant. Pourriez-vous me le rajeunir avant notre départ ? Simplement pour que je sente moins l’effet de la distance.

- Ton corps ne t’appartient pas. Dès qu’on se mettra en route, il retournera à la Terre.

- Alors, que me reste-t-il donc ? Mon âme ? Oui, c’est ça ! Mais je comprends à présent : avec le nombre de personnes avec qui vous faites affaires, il vous faut vous déplacer le plus légèrement possible.

- Pour ce qui est de ton âme, celle-ci m’appartient. Tu devras quitter sans celle-ci.

- Mon Dieu, qu’y a-t-il donc dans cette boîte ?

Et d’un geste rapide, étonnant vu son âge, le vieil homme enleva la boîte des mains de Dieu puis l’ouvrit. Il ne trouva rien.

- Dieu, cette boîte est vide !

- En effet.

- N’y a-t-il donc rien qui m’appartient ici-bas ?

- Pas vraiment. Ce qui est passé est passé, et personne ne sait ce que le futur nous réserve vraiment. La seule chose qui t’appartenait c’était l’instant présent, et j’espère que tu as bien profité des innombrables moments que j’ai mis à ta disposition car maintenant il ne t’en reste plus.

Voilà, il n'y a rien de plus!

J'espère que vous avez apprécié la lecture de mes conneries. Je suis une merde!